Bonjour à Toutes et à Tous !
En cette période si dure pour le milieu du travail, j’ai une pensée toute particulière pour mes anciennes collègues et consœurs. Je suis, via plusieurs page FB (dont la Brigade des Nurses), les témoignages tristement réalistes de celles qui sont encore à l’hôpital (dans tous les types de service) et qui se battent, s’épuisent au quotidien.
Dans cette optique j’ai souhaité partager avec la Brigade, mon parcours. Un témoignage que je souhaite également partager avec vous ici. Voici donc aujourd’hui, je vous ouvre mon cœur.
« Bonjour la Brigade
Aujourd’hui alors que je suis à un tournant important de ma vie je voulais partager quelques bribes de mon parcours avec vous
Je suis soignante depuis toujours je crois. Après avoir tenté médecine, et m’être rendue compte du chemin déshumanisant que le système imposait au étudiant, je me suis dit que le métier d’infirmière m’était plus adaptée. C’était pour moi un métier bien plus humain. Je me voyais déjà soutenir les patients dans les moments les plus durs de leur vie.
A cette époque malheureusement j’ai eu de gros soucis de santé. Mes études ont donc été des plus chaotiques. Les soignants profitaient de ma faiblesse physique pour me rendre la vie encore plus impossible qu’à mes congénères. En 2011 j’ai passé mon diplôme pour la première fois … l’équipe a littéralement saboté notre MSP DE (oui j’ai fait partie des dernières à faire ces mises en scène). Non contente de me faire échouer, elles ont conclu le stage en envoyant à notre école des rapports terribles, insultants, expliquant que nous avions à peine le niveau de premières années. Au vu de notre niveau respectif ces rapports ont beaucoup choqué nos formateurs.
Si ma co stagiaire à eu la chance d’avoir son diplôme in extremis, mon état de santé a joué en ma défaveur et j’ai dû repasser mon diplôme. En 2012 donc, après avoir passé une MSP dans les règles et avec brio, je suis enfin devenue Infirmière.
Mon premier poste, en médecine oncologique et palliative, m’a ouvert la voie sur une passion. Mon métier était le centre de ma vie et j’étais passionnée par ce milieu où la vie cottoit la mort quotidiennement et où le soignant tient une place des plus humaines.
Mais ce monde était bien plus dur que je ne m’y attendais. Ma passion pour la relation humaine était chaque jour mise à mal.
Je me souviens d’une patiente que mes collègues et moi avons suivi pendant 15 jours non stop. Elle avait un cancer en phase terminal. Son mari avait été autorisé à rester auprès d’elle et dormait sur un petit lit de camps dans sa chambre. Le matin même de sa mort alors que le corps de la patiente attendait les pompes funèbres, la cadre est venue nous voir pour nous rappeler de donner à l’époux de la patiente la note de sa chambre.
“Après tout, avait-elle ajouté, nous lui avons offert les plateaux de sa femme qu’elle ne mangeait pas, il peut bien payer sa chambre.” … Ce fut ma première rébellion de service.
J’ai vu bien d’autres cas tout aussi tristes.
Des collègues tellement ancrées dans leur routine et abandonnées de leur hiérarchie qu’elles n’avaient pas été recyclées de gestes simples qui ont coûté la vie de leur patient (en les détruisant au passage). Des collègues qui subissent les pires affront et finissent par laisser leur humanité aux vestiaires.
J’ai été par deux fois la victime de harcèlement. Je crois que c’est parce que je me laissais faire. Tant que mon travail était bien fait je pensais que c’était normal, que le métier était exigeant, que si on critiquait mes absences due à ma santé alors très fragile c’est parce que le service ne pouvait se permettre un bras cassé comme moi…
Et comme le négatif attire le négatif disons que j’ai eu la chance d’être très mal entourée et que de fait mon état de santé a empiré avec le temps … me mettant, chaque jour, un peu plus à l’écart d’un système qui ne voulait que des wonderwomans.
Le mal-être qui me pesait m’a poussé jusqu’au porte de ma vie, dans un burn out qui m’a quasiment coûté la vie. J’ai failli attenté à mes jours, mais l’on m’a hospitalisé juste à temps. J’ai passé 9 semaines dans une clinique psychiatrique, perdue dans la campagne, loin de tout, loin des miens.
Mon objectif est doucement passé de survivre sans me faire trop de mal jusqu’à demain, à admettre que je n’avais rien fait de mal à personne et que je pouvais me reconstruire et vivre. A la sortie, persuadé que c’était mon entourage affectif et ma santé qui avaient été les vecteurs de mon échec professionnel j’ai changé de vie. J’ai fait table rase et suis partie me reconstruire ailleurs.
Cela a fonctionné un temps.
Pour autant je m’apercevais petit à petit que quelques choses ne fonctionnait plus…
Un service de 17 lits de chirurgie plein à craquer où je fini un dimanche soir (2nd 12h sur 3) avec 25 patients dont 15 entrées du jour. La collègue de nuit et moi avons appelé la cadre d’astreinte pour avoir des renforts. La collègue de nuit en a eu, pas moi… et le lendemain 15 cathelon à poser, 15 prépa op’, 10 pansements la moitié de retrait de redons… Je me dit ouf j’ai une étudiante avec moi qui est en fin d’étude elle va m’aider… Non la cadre refuse car “elle ne lui fait pas confiance” (délit de sale gueule disons le…) “Vous n’avez qu’à faire que les soins infirmiers me dit-elle” … ok mais pour vous les soins infirmiers s’arrêtent où ? … sa réponse à la technique pure… Donc pas de surveillance, pas d’évaluation, même pas de cachet pour la douleur dans les chambres rien que des aiguilles et des pansements… Ma seconde rébellion… Mais un exemple parmi tant d’autres…
J’ai changé de service, souvent, cherchant un endroit où l’humain avec encore une place devant la machine biologique… Mais partout j’ai vu la maltraitance dans les yeux de mes collègues qui subissait les mêmes traitements que moi. Seulement alors je me suis rendue compte que la douleur que je ressentais n’était pas de la faiblesse mais bien le résultat d’un changement oppressant de notre métier.Les infirmières deviennent à contre coeur un rouage d’un système de rentabilité. Les soignants sont des équipiers d’une chaîne de montage sans queue ni tête où l’humain n’a plus sa place.
Consciente de ce que ce système me faisait à moi et à mes paires, j’ai fait le choix douloureux mais salvateur, de renoncer à ma vocation première pour la modifié un peu. Je me suis formée en soins psycho-corporels (Massages psycho-corporels, Réflexologie, Médecine Traditionnelle Chinoise, Drainage Lymphatique…). Cette nouvelle méthode de prendre soins de façon holistique m’a ouvert des portes insoupçonnées et m’a permis de sortir définitivement du noir.
Aujourd’hui je soigne autrement, selon mes convictions, mes aspirations. J’aide mes anciennes sœurs à sortir la tête de l’eau quand le système les noie, j’aide des patients en fin de vie et leur famille à trouver le calme. Et je forme d’autres anciens soignants à ces méthodes douces qui font leurs preuves chaque jour.
Aujourd’hui je vis enfin la vie de soignante que je souhaitais, dans le calme et la sérénité. Je continue de suivre les histoires tragiques de mes collègues maltraitées, en espérant qu’un jour le système leur rendra tout ce qu’il leur doit. »