Ce matin j’ai été témoin d’une situation aberrante et triste. Comme souvent dans ce cas j’ai posé quelques mots sur mon fil d’actualité, en sachant très bien que peu m’entendrait mais que peut-être, au hasard d’un écran, quelques uns se trouveraient touchés par se témoignages.
Plus tard dans la journée je me rappelle que ce n’est pas la première fois que la colère me monte au nez et que je m’attriste un peu de voir que notre monde va si mal. Je m’aperçois aussi que, souvent, j’ai occulté ces émotions pourtant bien naturelles. “Elles ne m’apporteront rien de bon” me disais-je…
Me sont alors revenues d’autres cas où j’ai enfoui mes émotions au plus profond de moi. Dans la formation d’infirmière on nous apprend qu’il faut gérer ses émotions. Dans mon référentiel et donc dans mes fiches d’évaluation de stage (par exemple) il existait une item “gestion des émotions” … oui, oui je vous assure … Autant vous dire que je n’avais jamais une bonne note à cet item. Pourquoi ?
N’étais-je pas capable de faire la différence entre le monde professionnel et ma vie personnelle ? Si fort bien. N’étais-je pas consciente du risque qu’il existe à ressentir, à partager l’émotion d’un patient ou de sa famille ? Si fort bien. Ne savais-je donc pas que quoi qu’il arrive dans la chambre 1, le spectacle doit continuer dans la chambre 2, et qu’il fallait savoir faire face comme une professionnelle ? Si fort bien !
Mais à cela je répondais : L’empathie m’empêche-t-elle de travailler ? Mon humanité est-elle vraiment un frein dans mon exercice ? Pourquoi ne puis-je pas partager cette tristesse d’avoir perdu ce patient ? Il n’était pas de ma famille pourtant c’est dans mes bras qu’il est mort, alors qui suis-je si mes yeux restent secs ?
C’était là la porte ouverte aux critiques. Je n’avais rien compris de mon métier. Je ne devais plus faire voir mes sentiments car ce n’était pas mon rôle, que ce n’était pas ce que l’on attendait de moi … Et très vite, parce que vous passez un temps considérable à travailler, j’ai appliqué cette dogme à ma vie personnelle autant que professionnelle…
Enfin à ma façon, car oublié mon humanité m’était impossible. Cependant lorsqu’il le fallait le savait passer en mode machine et abattre le travail qui m’incombait coûte que coûte.
Tout cela m’amène cependant à une grande question aujourd’hui. Dans ce monde où l’hypercontrôle de soi et de ses émotions est omniprésent, dans ce monde où exprimer ses émotions est une faiblesse … Que nous reste-t-il de notre humanité ?
La libération émotionnelle est abordée par bien des thérapies ( ex: EFT, détachement, hypnose …) et c’est finalement l’un des buts recherchés dans toutes les thérapies. Même les thérapies psycho-corporelles ont à cœur de retrouver les sensations de ses émotions enfouies.
Je crois que c’est parce que je n’ai jamais lâché l’idée que l’empathie était la clé d’un soin, parce que je n’ai jamais admis que les larmes étaient une faiblesse, parce que j’ai préféré tenir la main d’un patient pour l’écouter et le calmer plutôt que de le bourrer de médicaments que j’ai quitté le métier d’infirmière, que je je suis devenue la thérapeute que je suis devenue.
Ma sensibilité est devenue ma force car je suis à même de ressentir la peine, la douleur, mais aussi la joie, la paix de mes patients sans qu’elles soient miennes, mais en l’acceptant comme ce qu’elles sont, des sentiments humains.
Et peut-être que, si on inversait la tendance, si on retrouvait la voie des sentiments, de l’empathie, de la compassion, alors peut-être retrouverait-on la paix, peut-être est-ce finalement cela, la clé de l’humanité, d’avoir se donner le droit de ressentir à nouveau nos émotions !
Alors, pour vivre mieux, pour se sentir enfin vivant et en pleine forme, commençons dès aujourd’hui à dire oui aux sentiments, bons et mauvais, oui à l’émotion, au ressenti, oui à notre humanité !